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Le Méliès en lutte
23 mai 2013

Manuela Frésil est l'invitée de la semaine de l'Humanité

Chronique # 1

Culture - le 21 Mai 2013

L'invitée de la semaine

Manuela Frésil. Du cinéma et de la question sociale : comment se défendre quand il n’y a personne en face ?

Cinéaste.

Je suis Manuela Frésil, cinéaste. Dire que c’est mon métier est un grand mot : c’est ce que je fais dans la vie. Mon dernier film, Entrée du personnel, est sorti en salles le 1er mai. C’est un documentaire qui utilise les moyens de la fiction pour raconter les conditions de travail des ouvriers des usines agroalimentaires, autrement dit les abattoirs. J’ai mis sept ans à le réaliser. J’ai été têtue. Petit à petit, j’ai rassemblé les pièces du puzzle et je n’ai pas filmé en caméra cachée. Je n’aime pas cela. À sa sortie, le film a été… Comment le dire sans se vanter ? « Très bien accueilli par la critique ». Mais cette semaine, franchement, ça ne va pas. Depuis trois semaines j’enchaîne les débats dans des salles pas complètement vides, mais jamais pleines, et la courbe des entrées descend, inexorablement. Il me dit : « Irréductible râleuse ! Ton film encore à l’affiche, il y en a tellement qui disparaissent des écrans au bout d’une semaine ! » Elles me disent : « Ben, il faut dire que l’abattoir, ça ne fait pas rêver. » Lui, c’est mon compagnon, elles, ce sont nos filles. On a un toit sur la tête à Montreuil, un grand balcon où pousse en ce moment des fraises. Entrée du personnel raconte précisément cela, ce que chacun d’entre nous est capable d’endurer pour avoir un toit, un salaire à la fin du mois. Certes, dans les usines filmées, les cadences sont plus difficiles à tenir qu’ailleurs. S’y ajoutent le froid et la souffrance physique. Mais nos soucis se ressemblent et nos rages aussi : ni eux ni moi ne savons comment et contre qui nous battre. Je lui dis (lui, c’est le distributeur) : « Je veux bien continuer, mais il n’y a personne en face. » Il répond : « C’est parce que personne ne s’est emparé encore du film. » Je sais bien que cet « encore » est dit par gentillesse, jusqu’à ce qu’à bas bruit le film disparaisse des écrans. Comme si faire un film sur le travail ne servait à personne. Comme si la question sociale avait déserté le champ du cinéma.


Manuela Frésil

 

 

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